Ce n’est pas moi qui le dit, mais une étude de 2012. Se sentir seul équivaut, en impact sur la santé, à 15 cigarettes fumées par jour. On a une pensée alors pour tous nos seniors qui ne voient plus personne, restent cloîtrés chez eux devant la télévision et n’attendent plus grand-chose de la vie. Hélas, ça ne frappe pas que les seniors, et on peut rapidement se sentir perdu, téléphone portable en main, en ne sachant plus qui appeler pour simplement discuter.
Suite à un déménagement, un changement de vie, un deuil, une part de nous, trop fragile pour rester exposée, impose de se mettre à l’abri quelque temps, le temps qu’on trouve comment remonter la pente, mais aussi le temps que se décomposent nos liens sociaux, trop déçus de ne plus accéder facilement à nous.
On peut aussi arriver un jour dans son salon, avec enthousiasme, face à ce nouveau changement de vie bien choisi. Et finalement prendre cela pour des vacances en minimisant les efforts jusqu’à rencontrer la solitude comme une amie qui s’installe dans le canapé pour « une nuit ou deux ».
Il suffit de quelques jours à peine pour qu’un changement ait lieu. De l’étonnement, on passe à la résistance puis on aboutit à l’acceptation. Et de là , chaque jour martèle un peu plus le fer de cette nouvelle vie comme nouveau quotidien.
S’isoler ou se sentir isolé amène au même résultat. Plus de solitude. Et l’humain ne parvient pas à vivre cela sereinement, du moins pas immédiatement. Nous sommes culturellement conçus pour vivre en clan. Les amitiés nous définissent, et les autres nous font bouger de notre socle et nous empêchent de maintenir des certitudes. Les autres, c’est la vie. Et la psyché souffre de ne pas accepter la solitude. Elle va chercher à trouver des solutions à cette souffrance, et va surtout chercher des causes à la situation. On peut alors essayer de trouver un sens à la situation, jusqu’à valider celle-ci. Et ce manque finira par nous ronger.
Psychiquement, la mise en tension des autres, de leurs interactions, de leur caractère, sur laquelle on n’a que peu de maîtrise, nous maintient en quelque sorte unis, en termes de personnalité. Un peu comme le personnage de « Seul au monde », l’autre, même sous forme de ballon de foot, nous impose de rester nous. S’il n’y a plus d’opposé, ou trop peu, le « moi » n’a plus de raison de se maintenir. Si les autres sont l’enfer de Sartre, ils sont aussi ce qui nous tient entier. Sans la part sociale aléatoire du monde, on se déstructure. De l’usage du temps à la facilité d’entrer en contact avec les autres, tout peut se bouleverser, au point de nous enfermer davantage dans cet isolement dont on ne trouve plus comment sortir. C’est un symptôme de la dépression qui se développe en cherchant justement à y échapper. On devient un « sauvage », un « ermite », et les gens deviennent de plus en plus insupportables, du fait même qu’on perd l’habitude de leur violence ordinaire.
Finalement, l’isolement rend le lien aux autres plus compliqué, et donc amène plus encore la solitude.
Dans le choix de l’isolement, on ne mesure pas à quel point l’adversaire à affronter chaque jour désormais, c’est soi. Plus de patron, enfin, et plus de collègues. Une distance lieu de vie – bureau record, plus aucune surveillance, plus aucune contrainte, sauf celles qu’on doit finalement s’imposer avec force. On se bat contre soi-même pour rester en mouvement.
Les autres, c’est la vie, et la vie, c’est pas tendre. Et si on peut détester et ne pas regretter le leadership du N+1, il va bien falloir trouver de quoi maintenir la pression pour continuer à avancer, surtout quand la tâche est plus difficile que d’habitude. Et si on a mal dormi, si on a mal au crâne, si on vient de recevoir ce très bon livre, si on a trouvé cette série géniale hier soir, si on a un ami qui va passer, si on attend la réponse à un mail important, si on a une peine de cœur, la mission devient extrêmement dure.
De là , on s’enfonce. On est seul et donc on ne voit pas quel chemin prendre pour s’en sortir. Il faut improviser et rien ne marche. Les articles sur le web sont nuls ou pas assez précis. Les vidéos youtube veulent nous vendre plus de choses que ce qu’on peut leur prendre. La solitude face à l’adversité nous décourage encore plus. Il n’y a bientôt plus que la main qui traverse l’onde de la surface avant de disparaître à son tour. Le corps se roule en boule sur le canapé, la guerre est perdue. On attend un sauveur qui n’en finit pas de ne pas arriver. Et le pire, c’est qu’on n’a même pas connu l’échec ! On a juste croisé son ombre. Mais seul, qui peut nous dire que ce n’était pas lui ?
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Version : 2.0
Dernière mise à jour : Septembre 2022